Le pont de Londres est tombé : le plan secret pour les jours suivant la mort de la Reine d’Angleterre

NDLR : L'article date de 2017

Elle est vénérée dans le monde entier. Elle a survécu à 12 présidents américains. Elle représente la stabilité et l’ordre. Mais son royaume est en pleine tourmente, et ses sujets refusent de croire que son règne prendra fin un jour. C’est pourquoi le palais a un plan.

Les plans qui existent pour la mort de la Reine – et il y a de nombreuses versions, détenues par Buckingham Palace, le gouvernement et la BBC – la plupart prévoient qu’elle mourra après une courte maladie. Sa famille et ses médecins seront présents. Lorsque la Reine Mère s’est éteinte dans l’après-midi du samedi de Pâques 2002, à la Royal Lodge de Windsor, elle a eu le temps de téléphoner à ses amis pour leur dire au revoir, et de donner quelques-uns de ses chevaux. Au cours de ces dernières heures, le médecin principal de la Reine, un gastro-entérologue nommé Professeur Huw Thomas, sera aux commandes. Il veillera sur sa patiente, contrôlera l’accès à sa chambre et réfléchira aux informations à rendre publiques. Le lien entre le souverain et les sujets est une chose étrange et le plus souvent inconnaissable. La vie d’une nation devient celle d’une personne, puis la corde doit se rompre.

Il y aura des bulletins du palais – pas beaucoup, mais suffisamment. « La Reine souffre d’une grande prostration physique, accompagnée de symptômes qui provoquent beaucoup d’anxiété », annonce Sir James Reid, le médecin de la Reine Victoria, deux jours avant sa mort en 1901. « La vie du Roi se dirige paisiblement vers sa fin », tel est le dernier avis émis par le médecin de George V, Lord Dawson, à 21h30 dans la nuit du 20 janvier 1936. Peu de temps après, Dawson a injecté au roi 750 mg de morphine et un gramme de cocaïne – assez pour le tuer deux fois – afin d’atténuer les souffrances du monarque et de le faire expirer à temps pour les rotatives du Times, qui tournaient à minuit.

Ses yeux seront fermés et Charles sera roi. Ses frères et sœurs lui baiseront les mains. Le premier officiel à traiter la nouvelle sera Sir Christopher Geidt, le secrétaire privé de la Reine, un ancien diplomate qui a reçu un deuxième titre de chevalier en 2014, en partie pour avoir planifié sa succession.

Geidt va contacter le premier ministre. La dernière fois qu’un monarque britannique est décédé, il y a 65 ans, le décès de George VI a été transmis par un mot de code, « Hyde Park Corner », au palais de Buckingham, pour éviter que les standardistes ne le découvrent. Pour Elizabeth II, le plan de la suite des événements est connu sous le nom de « London Bridge » (le Pont de Londres). La première ministre sera réveillée, si elle ne l’est pas déjà, et les fonctionnaires diront « Le pont de Londres est abaissé » sur des lignes sécurisées. Depuis le Global Response Centre du Foreign Office (Ministère des Affaires étrangères britanniques), situé dans un lieu non divulgué de la capitale, la nouvelle sera transmise aux 15 gouvernements hors du Royaume-Uni où la Reine est également chef d’État, ainsi qu’aux 36 autres nations du Commonwealth pour lesquelles elle a servi de figure de proue symbolique – un visage familier dans les rêves et les dessins désordonnés d’un milliard d’écoliers – depuis l’aube de l’ère atomique.

Pour un temps, elle aura disparu sans que nous le sachions. L’information voyagera comme l’onde de compression qui précède un tremblement de terre, détectable uniquement par des équipements spéciaux. Les gouverneurs généraux, les ambassadeurs et les premiers ministres seront les premiers à apprendre. Les armoires seront ouvertes à la recherche de brassards noirs, de trois pouces et quart de large, à porter au bras gauche.

Le reste d’entre nous l’apprendra plus rapidement qu’avant. Le 6 février 1952, George VI est retrouvé par son valet à Sandringham à 7h30 du matin. La BBC ne diffuse la nouvelle qu’à 11 h 15, soit près de quatre heures plus tard. Lorsque la princesse Diana est décédée à 4 heures du matin, heure locale, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris le 31 août 1997, les journalistes qui accompagnaient l’ancien ministre des Affaires étrangères, Robin Cook, en visite aux Philippines, l’ont su dans les 15 minutes. Pendant de nombreuses années, la BBC a été informée en premier des décès royaux, mais son monopole de diffusion vers l’empire n’existe plus. Lorsque la Reine meurt, l’annonce est diffusée sous forme de flash d’information à la Press Association et au reste des médias du monde simultanément. Au même instant, un valet de pied en tenue de deuil sortira d’une porte du palais de Buckingham, traversera le gravier rose terne et épinglera un avis à la population à bord noir aux grilles. Pendant qu’il fera cela, le site Web du palais se transformera en une page unique et sombre, affichant le même texte sur un fond sombre.

Les écrans brilleront. Il y aura des tweets. À la BBC, le « système de transmission des alertes radio » (RATS), sera activé – une alarme de l’époque de la guerre froide conçue pour résister à une attaque contre l’infrastructure du pays. Le RATS, que l’on appelle aussi parfois « royal about to snuff it » (Argot pour « monarque en train de crever », NdT) est un élément quasi mythique de l’architecture complexe de rituels et de répétitions pour la mort de grandes personnalités royales que la BBC entretient depuis les années 1930. La plupart des employés ne l’ont jamais vu fonctionner que lors de tests ; beaucoup ne l’ont jamais vu fonctionner du tout. « Chaque fois qu’il y a un bruit étrange dans la salle de rédaction, quelqu’un demande toujours : ‘Est-ce que c’est le RATS ?’ Parce que nous ne savons pas à quoi cela ressemble », m’a confié un journaliste régional.

Tous les organes d’information vont se démener pour diffuser les films à l’antenne et mettre les nécrologies en ligne. Au Guardian, le rédacteur en chef adjoint a une liste d’articles préparés épinglée sur son mur. Au Times, on dit que 11 jours de couverture sont prêts à être diffusés. Chez Sky News et ITN, qui ont répété pendant des années la mort de la Reine en lui substituant le nom de « Mme Robinson », des appels seront lancés aux experts royaux qui ont déjà signé des contrats pour s’exprimer exclusivement sur ces chaînes. « Je vais être assis à l’extérieur des portes de l’Abbaye de Westminster sur une table à tréteaux largement agrandie pour commenter tout cela à 300 millions d’Américains », m’a dit l’un d’eux.

Pour les personnes coincées dans les embouteillages, ou avec Heart FM en fond sonore, il n’y aura que les plus subtiles indications, au début, que quelque chose se passe. Les stations de radio commerciales britanniques disposent d’un réseau de « lumières obit » bleues, testé une fois par semaine et censé s’allumer en cas de catastrophe nationale. Lorsque les nouvelles tombent, ces lumières se mettent à clignoter, afin d’alerter les DJ pour qu’ils passent aux nouvelles dans les prochaines minutes et qu’ils diffusent de la musique inoffensive pendant ce temps. Chaque station, jusqu’à la radio de l’hôpital, a préparé des listes de musique composées de chansons « Mood 2 » (triste) ou « Mood 1 » (la plus triste) à atteindre en cas de deuil soudain. « Si jamais vous entendez Haunted Dancehall (Nursery Remix) de Sabres of Paradise sur Radio 1 en journée, allumez la télévision », a écrit Chris Price, un producteur radio de la BBC, pour le Huffington Post en 2011. « Quelque chose de terrible vient de se produire ».

Avoir des plans en place pour la mort des principaux membres de la famille royale est une pratique qui met certains journalistes mal à l’aise. « Il y a une histoire qui est jugée tellement plus importante que les autres », m’a déploré un ancien producteur de l’émission Today. Pendant 30 ans, les équipes d’information de la BBC ont été amenées à travailler les dimanches matins tranquilles pour réaliser des scénarios fictifs sur la Reine Mère s’étouffant avec une arête de poisson. Il y a eu une fois un scénario sur la princesse Diana mourant dans un accident de voiture sur la M4.

Ces plans bien ficelés n’ont pas toujours été utiles. En 2002, lorsque la Reine Mère est morte, les lumières de la nécrologie ne se sont pas allumées parce que quelqu’un n’a pas appuyé correctement sur le bouton. Sur la BBC, Peter Sissons, le présentateur chevronné, a été critiqué pour avoir porté une cravate marron. Sissons a été victime d’un changement de politique de la BBC, émis après les attentats du 11 septembre, pour modérer sa couverture et réduire le nombre de rois de « catégorie un » pouvant bénéficier de la procédure complète de nécrologie. Les derniers mots dans l’oreille de Sissons avant de passer à l’antenne étaient : « N’en faites pas trop. C’est une très vieille femme qui devait partir un jour ou l’autre ».

Mais tout sera préparé à l’avance pour la Reine. Les présentateurs porteront des costumes noirs et des cravates noires. La catégorie 1 a été faite pour elle. Les programmes s’arrêteront. Les réseaux fusionneront. BBC 1, 2 et 4 seront interrompues et reviendront silencieusement à leurs identités visuelles respectives – un cours de gym dans une salle des fêtes, un cygne attendant sur un étang – avant de se réunir pour le journal télévisé. Les auditeurs de Radio 4 et Radio 5 live entendront une formulation spécifique des mots, « C’est la BBC depuis Londres », qui, intentionnellement ou non, convoquera un esprit d’urgence nationale.

La principale raison des répétitions est d’avoir des mots qui correspondent à peu près au moment présent. « C’est avec le plus grand chagrin que nous faisons l’annonce suivante », dit John Snagge, le présentateur de la BBC qui a informé le monde de la mort de George VI. (La nouvelle a été répétée sept fois, toutes les 15 minutes, puis la BBC s’est tue pendant cinq heures). Selon un ancien responsable des actualités de la BBC, un ensemble de mots très similaires sera utilisé pour la Reine. Les répétitions pour elle sont différentes de celles des autres membres de la famille, a-t-il expliqué. Les gens sont bouleversés, et contemplent l’impensable bizarrerie de son absence. « Elle est le seul monarque que la plupart d’entre nous aient jamais connu », a-t-il déclaré. L’étendard royal apparaîtra à l’écran. L’hymne national sera joué. Vous vous souviendrez de l’endroit où vous étiez.


Lorsque les gens pensent à un décès royal contemporain en Grande-Bretagne, ils pensent, inéluctablement, à Diana. Le décès de la Reine sera monumental en comparaison. Il ne sera peut-être pas aussi ouvertement émotionnel, mais sa portée sera plus large et ses implications plus dramatiques. « Ce sera tout à fait fondamental », comme me l’a dit un ancien courtisan.

Une partie de l’effet viendra du poids écrasant des événements. La routine des funérailles royales modernes est plus ou moins familière (celle de Diana était basée sur « Tay Bridge », le plan pour celle de la Reine Mère). Mais la mort d’un monarque britannique, et l’accession d’un nouveau chef d’État, est un rituel qui échappe à la mémoire vivante : trois des quatre derniers premiers ministres de la Reine sont nés après son accession au trône. Lorsqu’elle mourra, les deux chambres du Parlement seront rappelées, les gens rentreront plus tôt du travail et les pilotes d’avion annonceront la nouvelle à leurs passagers. Dans les neuf jours qui suivront (dans les documents de planification du plan London Bridge, ils sont appelés « jour J », « J+1 », etc.), il y aura des proclamations rituelles, une tournée du nouveau roi dans quatre pays, des programmes télévisés à la con et un rassemblement diplomatique à Londres jamais vu depuis la mort de Winston Churchill en 1965.

Mais, plus que tout cela, c’est le royaume qu’elle laisse derrière elle qui sera confronté à un terrible choc psychologique. La Reine est le dernier lien vivant de la Grande-Bretagne avec notre ancienne grandeur – l’idole de la nation, son estime de soi problématique – qui est toujours définie par notre victoire dans la seconde guerre mondiale. Un historien de premier plan, qui, comme la plupart des personnes que j’ai interrogées pour cet article, a refusé d’être nommé, a souligné que les adieux de la monarque ayant réglé le plus longtemps sur ce pays seront magnifiques. « Oh, elle aura tout », a-t-il dit. « On nous a tous dit que les funérailles de Churchill étaient le requiem de la Grande-Bretagne en tant que grande puissance. Mais en fait, tout sera vraiment terminé quand elle partira. »

Il y aura un compte à rebours psychologique tout-puissant pour le royaume qu’elle laisse derrière elle.

Contrairement à la présidence américaine, par exemple, les monarchies permettent d’énormes laps de temps – un siècle, dans certains cas – pour s’attacher à un individu. On se souviendra probablement de la seconde ère élisabéthaine comme d’un règne de déclin national ininterrompu, et même, si elle vit assez longtemps pour que l’Écosse quitte l’union, comme d’un règne de désintégration. La vie et la politique à la fin de son règne seront méconnaissables par rapport à leur grandeur et leur innocence au début. « Nous ne lui en voulons pas », m’a dit Philip Ziegler, l’historien et biographe royal. « Nous avons décliné avec elle, pour ainsi dire ».

Les films nécrologiques nous rappelleront de quel pays différent elle a hérité. Une séquence sera diffusée encore et encore : celle de son 21e anniversaire, en 1947, alors que la princesse Elizabeth était en vacances avec ses parents au Cap. Elle se trouvait à 6 000 miles de chez elle et confortablement installée dans le giron de l’Empire britannique. La princesse est assise à une table avec un microphone. L’ombre d’un arbre joue sur son épaule. La caméra s’ajuste trois ou quatre fois pendant qu’elle parle, et à chaque fois, elle tressaille momentanément, trahissant de minuscules éclairs d’irritation aristocratique. « Je déclare devant vous tous que ma vie entière, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service, et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous », dit-elle en énonçant des voyelles et une conception du monde qui ont toutes deux disparu.

Il n’est pas rare qu’un pays succombe à un état de déni alors qu’un long chapitre de son histoire est sur le point de se terminer. Lorsqu’il a été rendu public que la reine Victoria allait mourir, à l’âge de 82 ans, veuve depuis la moitié de sa vie, « un chagrin stupéfié … a balayé le pays », a écrit son biographe, Lytton Strachey. Dans l’esprit de ses sujets, la mortalité de la reine était devenue inimaginable ; et avec sa disparition, tout était soudainement en danger, placé entre les mains d’un héritier âgé et peu fiable, Édouard VII. « Les eaux sauvages sont sur nous maintenant », a écrit l’Américain Henry James, qui s’était installé à Londres 30 ans auparavant.

Les parallèles avec le malaise que nous ressentirons à la mort d’Elizabeth II sont évidents, mais sans la consolation du statut de la Grande-Bretagne en 1901 comme pays le plus prospère du monde. « Nous devons avoir des récits pour les événements royaux », m’a dit l’historien. « Sous le règne victorien, tout est devenu de mieux en mieux, et de plus en plus grand. Nous ne pouvons certainement pas raconter cette histoire aujourd’hui. »

Il en résulte une énorme objection à ne serait-ce que penser à – et encore moins à parler ou à écrire sur – ce qui se passera lorsque la reine mourra. Nous évitons le sujet comme nous l’évitons dans nos propres familles. Cela ressemble à des bonnes manières, mais c’est aussi de la peur. Le reportage pour cet article a nécessité des dizaines d’entretiens avec des radiodiffuseurs, des fonctionnaires du gouvernement et des membres du personnel du palais qui ont quitté le pays, dont plusieurs ont travaillé directement sur le plan London Bridge. Presque tous ont insisté sur le secret absolu. « Cette réunion n’a jamais eu lieu », m’a-t-on dit après une conversation dans un club de gentlemen sur Pall Mall. Buckingham Palace, quant à lui, a pour politique de ne pas commenter les arrangements funéraires des membres de la famille royale.

Et pourtant, ce tabou, comme beaucoup de choses ayant trait à la monarchie, n’est pas entièrement rationnel et masque une réalité parallèle. La prochaine grande rupture dans la vie nationale britannique a, en fait, été planifiée à la minute près. Elle concerne des questions d’importance publique majeure, sera payée par nous, et va certainement se produire. Selon l’Office of National Statistics, une femme britannique qui atteint l’âge de 91 ans – comme la Reine le fera en avril – a une espérance de vie moyenne de quatre ans et trois mois. La Reine approche de la fin de son règne à un moment d’inquiétude maximale quant à la place de la Grande-Bretagne dans le monde, à un moment où les tensions politiques internes sont proches de faire éclater son royaume. Sa mort libèrera également ses propres forces déstabilisantes : dans l’accession de la reine Camilla ; dans l’image d’un nouveau roi qui est déjà un vieil homme ; et dans l’avenir du Commonwealth, une invention dont elle est en grande partie responsable. (Le titre de « chef du commonwealth » de la reine n’est pas héréditaire.) Le premier ministre australien et le chef de l’opposition souhaitent tous deux que le pays devienne une république.

Faire face à la tournure que prennent ces événements est le prochain grand défi de la Maison de Windsor, la dernière famille royale européenne à pratiquer les couronnements et à persister – avec la complicité d’un public consentant – dans la magie de toute cette entreprise. C’est pourquoi la planification du décès de la Reine et de ses suites cérémonielles est si étendue. La succession fait partie du travail. C’est l’occasion d’affirmer l’ordre. En 1875, la reine Victoria avait mis par écrit le contenu de son cercueil. Les funérailles de la reine mère ont été répétées pendant 22 ans. Louis Mountbatten, le dernier vice-roi des Indes, a préparé un menu d’hiver et un menu d’été pour son déjeuner funéraire. Le plan London Bridge est le plan de sortie de la Reine. « C’est de l’histoire ancienne », comme l’a dit l’un de ses courtisans. Ce seront 10 jours de chagrin et de spectacle au cours desquels, un peu comme le miroir éblouissant de la monarchie elle-même, nous nous délecterons de ce que nous étions et éviterons la question de ce que nous sommes devenus.


L’idée est que rien ne soit imprévu. Si la Reine meurt à l’étranger, un jet BAe 146 de l’escadron n° 32 de la RAF, connu sous le nom de Royal Flight, décollera de Northolt, à la périphérie ouest de Londres, avec un cercueil à bord. Les pompes funèbres royales, Leverton & Sons, gardent ce qu’ils appellent un « cercueil de premier appel » prêt en cas d’urgences royales. George V et George VI ont tous deux été enterrés dans des chênes cultivés sur le domaine de Sandringham, dans le Norfolk. Si la Reine y meurt, son corps arrivera à Londres en voiture après un jour ou deux.

Les plans les plus élaborés concernent ce qui se passera si elle décède à Balmoral, où elle passe trois mois par an. Cela déclenchera une première vague de rituels écossais. Tout d’abord, le corps de la Reine reposera dans son plus petit palais, à Holyroodhouse, à Édimbourg, où elle est traditionnellement gardée par la Compagnie royale des archers, qui portent des plumes d’aigle sur leur bonnet. Le cercueil sera ensuite transporté le long du Royal Mile jusqu’à la cathédrale St Giles, pour un service d’accueil, avant d’être mis à bord du Royal Train à la gare de Waverley pour une triste progression le long de la ligne principale de la côte est. Des foules sont attendues aux passages à niveau et sur les quais des gares de tout le pays – de Musselburgh et Thirsk au nord, à Peterborough et Hatfield au sud – pour jeter des fleurs sur le train qui passe. (Une autre locomotive suivra derrière, pour dégager les débris des voies.) « C’est en fait très compliqué », m’a dit un responsable des transports.

The funeral procession of the late King George VI in 1952.
Le cortège funéraire de feu le Roi George VI en 1952

Dans tous les scénarios, le corps de la Reine retourne dans la salle du trône du palais de Buckingham, qui donne sur l’angle nord-ouest du Quadrangle, sa cour intérieure. Il y aura un autel, le pall, l’étendard royal, et quatre Grenadier Guards, leurs chapeaux en peau d’ours inclinés, leurs fusils pointant vers le sol, faisant le guet. Dans les couloirs, le personnel employé par la Reine depuis plus de 50 ans passera, suivant des procédures qu’il connaît par cœur. « Votre professionnalisme prend le dessus car il y a un travail à faire », a déclaré un vétéran des funérailles royales. Il n’y aura pas de temps pour la tristesse, ni pour s’inquiéter de ce qui se passera ensuite. Charles fera venir un grand nombre de ses propres collaborateurs lorsqu’il accèdera au pouvoir. « Gardez à l’esprit, » dit le courtisan, « que tous ceux qui travaillent au palais sont en fait en sursis. »

À l’extérieur, les équipes de journalistes se rassembleront sur des sites convenus à l’avance à côté de Canada Gate, au fond de Green Park. (Un câble spécial à fibre optique passe sous le Mall, pour la diffusion des événements de l’État britannique). « J’ai devant moi un livre d’instructions de quelques centimètres d’épaisseur », a déclaré un réalisateur de télévision, qui couvrira les cérémonies, lors de notre entretien téléphonique. « Tout ce qui est là-dedans est planifié. Tout le monde sait ce qu’il faut faire. » Dans tout le pays, les drapeaux seront descendus et les cloches sonneront. En 1952, le Great Tom a été sonné à St Paul’s toutes les minutes pendant deux heures à l’annonce de la nouvelle. Les cloches de l’abbaye de Westminster ont retenti et la cloche de Sébastopol, prise dans la ville de la mer Noire pendant la guerre de Crimée et sonnée uniquement à l’occasion du décès d’un souverain, a été sonnée 56 fois à Windsor – une fois pour chaque année de la vie de George VI – de 13h27 à 14h22.

Le 18e duc de Norfolk, le comte maréchal, sera en charge. Les Norfolks supervisent les funérailles royales depuis 1672. Au cours du 20e siècle, un ensemble de bureaux du palais de St James a toujours été réservé à leur usage. Le matin de la mort de George VI, en 1952, ceux-ci étaient en cours de rénovation. À cinq heures de l’après-midi, l’échafaudage était descendu et les pièces étaient à nouveau tapissées, meublées et équipées de téléphones, de lumières et de chauffage. Pendant le London Bridge, le bureau du Lord Chamberlain dans le palais sera le centre des opérations. La version actuelle du plan est en grande partie l’œuvre du lieutenant-colonel Anthony Mather, un ancien écuyer qui a pris sa retraite du palais en 2014. En 1965, alors qu’il était un jeune garde de 23 ans, Mather a dirigé les porteurs de cercueils lors des funérailles de Churchill. (Il a refusé de me parler.) L’équipe du gouvernement – qui coordonne la police, la sécurité, les transports et les forces armées – se réunira au ministère de la Culture, des Médias et des Sports. Quelqu’un aura la tâche d’imprimer environ 10 000 billets pour les invités, dont les premiers seront nécessaires pour la proclamation du roi Charles dans environ 24 heures.


Tous les participants aux conférences téléphoniques et autour de la table se connaissent. Pour une strate étroite de l’aristocratie et de la fonction publique britanniques, l’art de planifier des funérailles majeures – la solennité, les détails excessifs – est l’expression d’une certaine compétence nationale. Trente et une personnes se sont réunies pour la première réunion de planification des funérailles de Churchill, « Operation Hope Not », en juin 1959, six ans avant sa mort. Les personnes travaillant sur le plan London Bridge (et le Tay Bridge et le Forth Bridge, les funérailles du duc d’Édimbourg) auront correspondu pendant des années dans un langage d’euphémisme bureaucratique, à propos d' »une éventuelle future cérémonie » ; d' »un futur problème » ; d' »une occasion inévitable, dont le moment est toutefois assez incertain ».

Les premiers plans pour le London Bridge remontent aux années 1960, avant d’être affinés dans le détail au début du siècle. Depuis lors, des réunions ont eu lieu deux ou trois fois par an pour les différents acteurs impliqués (une douzaine de départements gouvernementaux, la police, l’armée, les diffuseurs et les parcs royaux) à Church House, Westminster, le Palais, ou ailleurs dans Whitehall. Les participants me les ont décrits comme profondément civils et méthodiques. « Tout le monde dans le monde attend de nous que nous le refassions parfaitement », a déclaré l’un d’eux, « et nous le ferons ». Les plans sont mis à jour et les anciennes versions sont détruites. Des connaissances arcanes et très spécifiques sont partagées. Il faut 28 minutes de marche lente entre les portes de St James et l’entrée de Westminster Hall. Le cercueil doit avoir un faux couvercle, pour contenir les joyaux de la couronne, avec un rebord d’au moins trois pouces de haut.

En théorie, tout est réglé. Mais dans les heures qui suivront le départ de la Reine, il y aura des détails que seul Charles peut décider. « Tout doit être signé par le duc de Norfolk et le roi », m’a dit un officiel. Le prince de Galles a attendu plus longtemps que tout autre héritier pour accéder au trône britannique, et le monde va maintenant tourbillonner autour de lui à une distance nouvelle et infranchissable. « Pendant un petit moment », a écrit Edouard VIII, à propos des jours entre la mort et les funérailles de son père, « j’ai eu la sensation désagréable d’être laissé seul sur une vaste scène. » Ces dernières années, une grande partie du travail sur le London Bridge s’est concentrée sur la chorégraphie précise de l’accession de Charles. « Il y a vraiment deux choses qui se passent », comme me l’a dit l’un de ses conseillers. « Il y a la disparition d’un souverain et puis il y a la création d’un roi ». Charles doit prononcer son premier discours en tant que chef d’État le soir de la mort de sa mère.

Les standards téléphoniques – le Palais, Downing Street, le ministère de la Culture, des Médias et des Sports – seront submergés d’appels au cours des 48 premières heures. Il s’est écoulé tellement de temps depuis le décès d’un monarque que de nombreuses organisations nationales ne sauront pas quoi faire. L’avis officiel, comme la dernière fois, sera que les affaires doivent continuer comme d’habitude. Cela ne se produira pas nécessairement. Si la Reine meurt pendant le Royal Ascot, la rencontre sera supprimée. On dit que le Marylebone Cricket Club détient une assurance pour un résultat similaire si elle décède pendant un match test à domicile à Lord’s. Après la mort de George VI en 1952, les rencontres de rugby et de hockey ont été annulées, tandis que les matchs de football ont eu lieu. Les fans ont chanté Abide With Me et l’hymne national avant le coup d’envoi. Le National Theatre fermera si la nouvelle tombe avant 16 heures, et restera ouvert dans le cas contraire. Tous les jeux, y compris le golf, seront interdits dans les parcs royaux.

En 2014, l’Association nationale des officiers civiques a diffusé des protocoles à suivre par les autorités locales en cas de « décès d’une haute personnalité nationale ». Elle conseillait de stocker des livres de condoléances – à feuilles volantes, pour que les messages inappropriés puissent être retirés – qui seraient placés dans les mairies, les bibliothèques et les musées le lendemain du décès de la reine. Les maires masqueront leurs décorations (les masses seront enveloppées de sacs noirs). Dans les villes de province, des écrans géants seront installés pour que les foules puissent suivre les événements qui se déroulent à Londres, et des drapeaux de toutes sortes, y compris des drapeaux de plage (mais pas de drapeaux rouges de danger), seront mis en berne. Le pays doit être vu pour savoir ce qu’il fait. La dernière série d’instructions aux ambassades à Londres a été envoyée juste avant Noël. L’un des plus gros maux de tête sera pour le Foreign Office, qui devra s’occuper de tous les dignitaires qui descendront des quatre coins du monde. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, où la Reine est le chef de l’État, elle est connue sous le nom de « Mama belong big family ». Les familles royales européennes seront hébergées au palais ; les autres logeront à l’hôtel Claridge’s.

A la Chambre des Lords, les deux trônes seront remplacés par une chaise et un coussin portant le contour doré d’une couronne

Le Parlement se réunira. Si possible, les deux chambres siègent dans les heures qui suivent le décès du monarque. En 1952, les Communes se sont réunies pendant deux minutes avant midi. « Nous ne pouvons en ce moment faire plus qu’enregistrer une expression spontanée de notre chagrin », a déclaré Churchill, qui était premier ministre. La Chambre se réunit à nouveau dans la soirée, lorsque les députés commencent à prêter le serment d’allégeance au nouveau souverain. Les messages des parlements et des présidents pleuvent. La Chambre des représentants des États-Unis a ajourné. L’Éthiopie a annoncé deux semaines de deuil. À la Chambre des Lords, les deux trônes seront remplacés par une seule chaise et un coussin portant le contour doré d’une couronne.

Le jour J+1, le lendemain du décès de la reine, les drapeaux seront remontés et à 11 heures, Charles sera proclamé roi. Le Conseil d’accession, qui se réunit dans la salle d’entrée au tapis rouge du palais de St James, est bien antérieur au Parlement. La réunion, des « seigneurs spirituels et temporels de ce royaume », dérive du Witan, l’assemblée féodale anglo-saxonne d’il y a plus de mille ans. En théorie, les 670 membres actuels du Conseil privé, de Jeremy Corbyn à Ezekiel Alebua, l’ancien premier ministre des îles Salomon, sont invités – mais il n’y a de place que pour 150 environ. En 1952, la Reine était l’une des deux femmes présentes lors de sa proclamation.

Le greffier, un haut fonctionnaire du nom de Richard Tilbrook, lira le texte officiel : « Attendu qu’il a plu à Dieu tout-puissant d’appeler à sa miséricorde notre défunte Souveraine la Reine Elizabeth II de bienheureuse et glorieuse mémoire… » et Charles accomplira les premières tâches officielles de son règne, jurant de protéger l’Église d’Écosse et parlant du lourd fardeau qui est désormais le sien.

À l’aube, la fenêtre centrale donnant sur Friary Court, sur la façade orientale du palais, aura été retirée et le toit extérieur recouvert de feutre rouge. Après que Charles aura parlé, les trompettes des Life Guards, portant des panaches rouges sur leurs casques, sortiront, donneront trois coups et le roi d’armes de la Jarretière, un généalogiste nommé Thomas Woodcock, se tiendra sur le balcon et commencera les proclamations rituelles du roi Charles III. « Je ferai la première », a déclaré Woodcock, dont le salaire officiel de 49,07 £ n’a pas été augmenté depuis les années 1830. En 1952, quatre caméras d’actualités ont enregistré le moment. Cette fois, il y aura un public de milliards de personnes. Les gens chercheront des augures – dans le temps, dans le vol des oiseaux – pour le règne de Charles. Lors de l’accession d’Elizabeth, tout le monde était convaincu que la nouvelle reine était trop calme. La fanfare des Coldstream Guards jouera l’hymne national sur des tambours enveloppés d’un tissu noir.

Les proclamations ne feront que commencer. De St James, le roi d’armes de la Jarretière et une demi-douzaine d’autres hérauts, ressemblant aux figurants d’une coûteuse production de Shakespeare, se rendront en calèche à la statue de Charles Ier, au pied de Trafalgar Square, qui marque le point médian officiel de Londres, et liront à nouveau les nouvelles. Une salve de 41 canons – presque sept minutes d’artillerie – sera tirée depuis Hyde Park. « Il n’y a là aucune concession à la modernité », m’a dit un ancien fonctionnaire du palais. Il y aura des chapeaux à queue et des chevaux partout. L’une des préoccupations des diffuseurs est de savoir à quoi ressembleront les foules qui chercheront à enregistrer ces moments d’histoire. « Le monde entier va être ensanglanté en faisant ça », a déclaré un responsable de l’information, en brandissant son téléphone devant son visage.

Sur l’ancienne frontière de la City de Londres, devant les cours royales de justice, un cordon rouge sera suspendu en travers de la route. Le maréchal de la ville, un ancien commissaire de police nommé Philip Jordan, attendra sur un cheval. Les hérauts seront officiellement admis dans la City, et il y aura d’autres trompettes et d’autres annonces : au Royal Exchange, puis dans une réaction en chaîne à travers le pays. Il y a soixante-cinq ans, il y avait des foules de 10 000 personnes à Birmingham ; 5 000 à Manchester ; 15 000 à Edimbourg. Les High Sheriffs se tenaient sur les marches des mairies, et annonçaient le nouveau souverain selon la coutume locale. À York, le maire a porté un toast à la reine dans une coupe en or massif.

Les mêmes rituels auront lieu, mais cette fois-ci, le nouveau roi ira également à la rencontre de son peuple. Dès sa proclamation à St James, Charles fera immédiatement le tour du pays, se rendant à Édimbourg, Belfast et Cardiff pour assister aux services commémoratifs de sa mère et rencontrer les dirigeants des gouvernements décentralisés. Il y aura également des réceptions civiques, pour les enseignants, les médecins et d’autres personnes ordinaires, qui sont destinées à refléter l’esprit altéré de son règne. « Dès le premier jour, il s’agit de faire en sorte que les gens plutôt que les dirigeants fassent partie de cette nouvelle monarchie », a déclaré l’un de ses conseillers, qui a décrit les plans de progression de Charles comme suit : « Beaucoup de choses à faire sans être dans une voiture, mais en marchant réellement. » Dans la capitale, l’apparat de la mort et de l’accession royale sera archaïque et déconcertant. Mais chaque jour, depuis une autre ville, il y aura des images du nouveau roi en deuil aux côtés de ses sujets, assumant son rôle tout-puissant et solitaire dans l’imagination du public. « C’est voir et être vu », dit le conseiller.


Pendant longtemps, l’art du spectacle royal était réservé à d’autres peuples, plus faibles : les Italiens, les Russes et les Habsbourg. Les occasions rituelles britanniques étaient un désordre. Aux funérailles de la princesse Charlotte, en 1817, les croque-morts étaient ivres. Dix ans plus tard, la chapelle Saint-Georges était si froide lors de l’enterrement du duc d’York que George Canning, le ministre des Affaires étrangères, contracta un rhumatisme articulaire aigu et que l’évêque de Londres mourut. « Nous n’avons jamais vu un corps de personnes aussi hétéroclite, aussi grossier et aussi mal géré », rapporte le Times à propos des funérailles de George IV, en 1830. Le couronnement de Victoria, quelques années plus tard, n’avait rien d’extraordinaire. Le clergé s’est perdu dans les paroles ; le chant était affreux ; et les bijoutiers royaux ont fabriqué la bague du couronnement pour le mauvais doigt. « Certaines nations ont un don pour le cérémonial », écrivait le marquis de Salisbury en 1860. « En Angleterre, le cas est exactement l’inverse. »

Ce que nous considérons comme les anciens rituels de la monarchie ont été principalement élaborés à la fin du 19e siècle, vers la fin du règne de Victoria. Les courtisans, les politiciens et les théoriciens constitutionnels tels que Walter Bagehot s’inquiétaient du spectacle désolant de l’impératrice des Indes déambulant dans Windsor dans sa charrette à âne. Si la couronne devait renoncer à son autorité exécutive, elle devait inspirer la loyauté et la crainte par d’autres moyens – et le théâtre faisait partie de la réponse. « Plus nous serons démocratiques », écrivait Bagehot en 1867, « plus nous en viendrons à aimer l’État et le spectacle ».

Obsédée par la mort, Victoria a organisé ses propres funérailles avec un certain style. Mais c’est son fils, Édouard VII, qui est en grande partie responsable de la renaissance de l’étalage royal. Un courtisan a loué son « curieux pouvoir de visualisation d’un spectacle ». Il a transformé l’ouverture officielle du Parlement et les exercices militaires, tels que la parade des drapeaux, en véritables événements costumés, et lors de son propre décès, il a ressuscité le rituel médiéval du repos officiel. Des centaines de milliers de sujets défilèrent devant son cercueil dans le Westminster Hall en 1910, accordant un nouveau sentiment d’intimité au corps du souverain. En 1932, George V était une figure paternelle nationale, prononçant le premier discours royal de Noël à la nation – une tradition qui perdure aujourd’hui – dans une allocution radiophonique écrite pour lui par Rudyard Kipling.

Le désordre et l’éloignement de la monarchie du XIXe siècle ont été remplacés par une famille idéalisée et un apparat historique inventé au XXe siècle. En 1909, le Kaiser Wilhelm II se vante de la qualité des processions martiales allemandes : « Les Anglais ne peuvent pas nous égaler dans ce genre de choses. » Maintenant, nous savons tous que personne d’autre ne le fait tout à fait comme les Britanniques.

La Reine, de l’avis général une personne pratique et peu sentimentale, comprend le pouvoir théâtral de la couronne. « Je dois être vue pour être crue », dit-on, est l’une de ses phrases d’accroche. Et il n’y a aucune raison de douter que ses rites funéraires susciteront un élan de sentiment collectif. « Je pense qu’il y aura un énorme et très authentique déversement d’émotion profonde », a déclaré l’historien Andrew Roberts. Tout tournera autour d’elle, et ce sera vraiment autour de nous. Il y aura une envie de se tenir dans la rue, de le voir de ses propres yeux, de faire partie d’une multitude. L’effet cumulatif sera conservateur. « Je soupçonne que la mort de la reine va intensifier les sentiments patriotiques », m’a dit un penseur constitutionnel, « et donc correspondre à l’humeur du Brexit, si vous voulez, et intensifier le sentiment qu’il n’y a rien à apprendre des étrangers. »

La vague de sentiments contribuera à noyer les faits gênants de la succession. La réhabilitation de Camilla en tant que duchesse de Cornouailles a été un succès discret pour la monarchie, mais son accession au rang de reine permettra de tester le chemin parcouru. Depuis qu’elle a épousé Charles en 2005, Camilla est officiellement connue sous le nom de Princesse Consort, une formulation qui n’a aucune signification historique ou juridique. (« C’est de la foutaise », m’a dit un ancien courtisan, qui l’a décrite comme « un coup monté contre Diana »). La fiction prendra fin à la mort d’Elizabeth II. En vertu de la common law, Camilla deviendra reine – le titre toujours donné aux épouses des rois. Il n’y a pas d’alternative. « Elle est reine quel que soit le nom qu’on lui donne », comme le dit un érudit. « Si elle est appelée princesse consort, cela implique qu’elle n’est pas tout à fait à la hauteur. C’est un problème. » Il est prévu de clarifier cette situation avant le décès de la Reine, mais on s’attend actuellement à ce que le Roi Charles présente la Reine Camilla lors de son Conseil d’accession en J+1 (Camilla a été invitée à rejoindre le Conseil privé en juin dernier, elle sera donc présente). La confirmation de son titre fera partie des premières 24 heures tumultueuses.

Crowds watch naval ratings pulling the gun carriage bearing the coffin of Sir Winston Churchill to St Paul’s Cathedral.
La foule observe les matelots de la marine tirant le char d’assaut portant le cercueil de Sir Winston Churchill vers la cathédrale de Saint-Paul.

Le Commonwealth est l’autre nœud. En 1952, lors de la dernière adhésion, il n’y avait que huit membres de la nouvelle entité qui prenait forme dans les contours de l’Empire britannique. La reine était le chef d’État de sept d’entre eux, et elle a été proclamée chef du Commonwealth pour tenir compte du statut de république unique de l’Inde. Soixante-cinq ans plus tard, l’organisation, à laquelle la Reine a assisté assidûment tout au long de son règne, compte 36 républiques et regroupe désormais un tiers de la population mondiale. Le problème est que le rôle n’est pas héréditaire, et qu’il n’existe aucune procédure pour choisir le prochain. « C’est une zone grise complète », a déclaré Philip Murphy, directeur de l’Institut d’études du comté à l’Université de Londres.

Depuis plusieurs années, le palais tente discrètement d’assurer la succession de Charles à la tête du bloc, en l’absence de toute autre option évidente. En octobre dernier, Julia Gillard, l’ancienne première ministre australienne, a révélé que Christopher Geidt, le secrétaire privé de la reine, lui avait rendu visite en février 2013 pour lui demander de soutenir cette idée. Le Canada et la Nouvelle-Zélande se sont depuis alignés, mais il est peu probable que le titre soit inclus dans la proclamation du roi Charles. Au lieu de cela, il fera partie du discret lobbying international qui a lieu alors que Londres se remplit de diplomates et de présidents dans les jours qui suivent le décès de la reine. Il y aura des réceptions sérieuses et animées au palais. « Il ne s’agit pas de divertir. Mais vous devez montrer une certaine forme de respect pour le fait qu’ils soient venus », a déclaré un courtisan. « Un tel festin et un tel mélange, alors que mon père n’est toujours pas enterré, m’ont semblé inappropriés et sans cœur », écrit Edouard VIII dans ses mémoires. Le spectacle doit continuer. Les affaires se mêleront au chagrin.


Il y aura mille préparatifs finaux dans les neuf jours précédant les funérailles. Les soldats parcourront les routes du cortège. Les prières seront répétées. À J+1, Westminster Hall sera verrouillé, nettoyé et son sol en pierre sera recouvert de 1 500 mètres de tapis. Des bougies, dont les mèches sont déjà consumées, seront apportées de l’abbaye. Les rues alentour seront transformées en espaces de cérémonie. Les bornes sur le Mall seront enlevées, et des rails seront installés pour protéger les haies. Il y a de la place pour 7 000 sièges sur la Horse Guards Parade et 1 345 sur la Carlton House Terrace. En 1952, tous les rhododendrons de Parliament Square ont été arrachés et les femmes ont été interdites d’accès au toit de Admiralty Arch. « Rien ne peut être fait pour protéger les bulbes », note le ministère des Travaux publics. Les 10 porteurs de la Reine seront choisis et s’entraîneront à porter leur fardeau à l’abri des regards dans une caserne quelque part. Les membres de la famille royale britannique sont enterrés dans des cercueils doublés de plomb. Celui de Diana pesait un quart de tonne.

La population va glisser entre tristesse et irritabilité. En 2002, 130 personnes se plaignent à la BBC de sa couverture insensible de la mort de la Reine Mère ; 1 500 autres se plaignent du déplacement de Casualty sur BBC2. Les programmes télévisés des jours suivant le décès de la Reine vont encore changer. La comédie ne sera pas complètement retirée de la BBC, mais la plupart des satires le seront. Il y aura des rediffusions de Dad’s Army, mais pas de Have I Got News For You.

Les gens seront sensibles de toute façon. Après la mort de George VI, dans une société beaucoup plus chrétienne et déférente que celle-ci, une enquête de Mass Observation a montré que les gens s’opposaient à l’interminable musique larmoyante, à la couverture de l’événement par le front. « Ne pensent-ils pas aux personnes âgées, aux malades, aux invalides ? » a demandé une femme de 60 ans. « C’est terrible pour eux, toute cette morosité ». Dans un bar de Notting Hill, un buveur a dit : « Il n’est plus que de la merde et de la terre comme n’importe qui d’autre », ce qui a déclenché une bagarre. Les réseaux sociaux seront une poudrière. En 1972, l’écrivain Brian Masters a estimé qu’environ un tiers d’entre nous a rêvé de la Reine – elle représente l’autorité et nos mères. Les personnes qui ne s’attendent pas à pleurer pleureront.

Le jour J+4, le cercueil se déplacera vers Westminster Hall, pour y reposer en état pendant quatre jours entiers. Le cortège qui partira de Buckingham Palace sera le premier grand défilé militaire de London Bridge : il descendra le Mall, traversera Horse Guards et passera devant le Cénotaphe. Plus ou moins la même marche lente, depuis le palais de St James pour la Reine Mère en 2002, a impliqué 1 600 personnes et s’est étendue sur un demi-mile. Les fanfares ont joué du Beethoven et un coup de feu a été tiré toutes les minutes depuis Hyde Park. On pense que le parcours peut accueillir environ un million de personnes. Le plan pour les y amener est basé sur la logistique des Jeux olympiques de Londres 2012.

Il y aura peut-être des corgis. En 1910, les personnes en deuil d’Édouard VII étaient conduites par son fox-terrier, Caesar. Le cercueil de son fils a été suivi jusqu’à la gare de Wolferton, à Sandringham, par Jock, un poney de chasse blanc. Le cortège atteindra Westminster Hall à l’heure dite. Le timing sera parfait. « Big Ben commence à carillonner au moment où les roues s’arrêtent », comme l’a dit un diffuseur.

Tout semblera fantastiquement bien ordonné, consolant et conçu à un quart de pouce près, parce ça le sera…

À l’intérieur de la salle, il y aura des psaumes alors que le cercueil sera placé sur un catafalque drapé de pourpre. Le roi Charles sera de retour de sa tournée des nations d’origine, pour conduire les personnes en deuil. Le globe, le sceptre et la couronne impériale seront fixés en place, des soldats monteront la garde, puis les portes s’ouvriront à la multitude qui se sera formée à l’extérieur et qui défilera désormais devant la Reine pendant 23 heures par jour. Pour George VI, 305 000 sujets sont venus. La file d’attente était longue de cinq kilomètres. Le palais en attend un demi-million pour la Reine. Il y aura une merveilleuse file d’attente – l’ultime entreprise rituelle britannique, avec des cantines, la police, des toilettes portables et des étrangers qui se parlent prudemment – qui s’étendra jusqu’au pont de Vauxhall, puis traversera la rivière et reviendra le long de l’Albert Embankment. Les députés passeront à l’avant.

Sous le toit en châtaignier de la salle, tout semblera fantastiquement bien ordonné et consolant et conçu à un quart de pouce près, car c’est le cas. Un rapport interne de 47 pages compilé après les funérailles de George VI a suggéré de fixer des rouleaux métalliques au catafalque, afin de faciliter l’atterrissage du cercueil à son arrivée. Quatre soldats veilleront en silence pendant 20 minutes à la fois, et deux autres seront prêts en réserve. La RAF, l’armée de terre, la Royal Navy, les Beefeaters, les Gurkhas – tous participeront. Le plus ancien des quatre officiers se tiendra au pied du cercueil, le plus jeune à la tête. Les couronnes sur le cercueil seront renouvelées chaque jour. Pour le repos en chapelle ardente de Churchill en 1965, une réplique de la salle avait été installée dans la salle de bal de l’hôtel St Ermin’s situé à proximité, afin que les soldats puissent s’entraîner avant de prendre leur service. En 1936, les quatre fils de George V ont relancé la veillée du prince, au cours de laquelle les membres de la famille royale arrivent à l’improviste et montent la garde. Les enfants et petits-enfants de la Reine – dont des femmes pour la première fois – feront de même.

Avant l’aube du jour J+9, le jour des funérailles, dans la salle du silence, les bijoux seront retirés du cercueil et nettoyés. En 1952, il a fallu près de deux heures à trois bijoutiers pour enlever toute la poussière. (L’étoile d’Afrique, sur le sceptre royal, est le deuxième plus gros diamant taillé au monde). La majeure partie du pays sera réveillée par un jour de congé. Les magasins fermeront, ou passeront aux heures du jour férié. Certains afficheront des photos de la Reine dans leurs vitrines. La bourse n’ouvrira pas. La nuit précédente, il y aura eu des services religieux dans les villes du Royaume-Uni. Il est prévu d’ouvrir les stades de football pour des services commémoratifs si nécessaire.

À 9 heures du matin, Big Ben sonnera. Le marteau de la cloche sera alors recouvert d’un coussinet en cuir de sept seizièmes de pouce d’épaisseur, et il résonnera dans des tons étouffés. La distance entre Westminster Hall et l’abbaye n’est que de quelques centaines de mètres. L’occasion sera familière, même si elle est nouvelle : la Reine sera le premier monarque britannique à avoir ses funérailles dans l’abbaye depuis 1760. Les 2 000 invités seront assis à l’intérieur. Les caméras de télévision, dans des caches faits de briques peintes, rechercheront les images dont nous nous souviendrons. En 1965, les dockers abaissaient leurs grues pour Churchill. En 1997, c’était le mot « Mummy » sur les fleurs de ses fils pour Diana.

Lorsque le cercueil franchira les portes de l’abbaye, à 11 heures, le pays se taira. Les bruits se tairont. Les gares cesseront leurs annonces. Les autobus s’arrêteront et les conducteurs descendront sur le bord de la route. En 1952, au même moment, tous les passagers d’un vol Londres-New York se sont levés de leur siège et se sont tenus debout, à 18 000 pieds au-dessus du Canada, et ont incliné la tête.

À l’époque, les enjeux étaient plus clairs, ou du moins ils le semblaient. Un roi bègue avait fait partie du mode de vie britannique en difficulté qui avait survécu à une guerre existentielle. La couronne que Churchill a déposée disait : « Pour sa bravoure ». Le commentateur de la BBC en 1952, l’homme qui a déchiffré les rubis et les rituels pour la nation, était Richard Dimbleby, le premier reporter britannique à entrer dans Bergen-Belsen et à transmettre ses horreurs, sept ans auparavant. « Comme est vraie ce soir cette déclaration prononcée par un inconnu sur son père bien-aimé », murmura Dimbleby en décrivant le gisant à des millions de personnes. « Le coucher de soleil de sa mort a teinté le ciel du monde entier ».

Les trompettes et l’ancienneté étaient la preuve de notre survie ; et la jeune fille du roi régnerait sur la paix. « Ces cérémonies royales représentaient la décence, la tradition et le devoir public, en contradiction avec la goujaterie du nazisme », m’a dit un historien. La monarchie avait échangé le pouvoir contre le théâtre, et au lendemain de la guerre, l’illusion est devenue plus puissante que quiconque aurait pu l’imaginer. « C’était réparateur », m’a dit Jonathan Dimbleby, fils et biographe de Richard.

Son frère, David, sera probablement derrière le micro de la BBC cette fois-ci. La question sera de savoir ce que représentent maintenant les cloches, les emblèmes et les hérauts. À quel moment le faste d’une monarchie impériale devient-il ridicule dans les circonstances d’une nation diminuée ? « Le souci, dit un historien, c’est que ce ne sont que des animaux de cirque. »

Si la monarchie existe en tant que théâtre, alors ce doute fait partie du drame. Peuvent-ils encore s’en sortir ? Sachant tout ce que nous savons en 2017, comment peut-on envisager qu’une seule personne puisse contenir l’âme d’une nation ? Le but de la monarchie n’est pas de répondre à de telles questions. Il est de continuer. « Quelle part de notre vie nous passons à jouer la comédie », avait l’habitude de dire la Reine Mère.

À l’intérieur de l’abbaye, l’archevêque parlera. Pendant les prières, les radiodiffuseurs s’abstiendront de montrer les visages royaux. Lorsque le cercueil émergera à nouveau, les porteurs le placeront sur le porte-fusil vert qui a été utilisé pour le père de la Reine, et son père et le père de son père, et 138 jeunes marins baisseront la tête sur leur poitrine et tireront. La tradition d’être tiré par la Royal Navy a commencé en 1901 lorsque les chevaux funéraires de Victoria, tous blancs, ont menacé de s’emballer à la gare de Windsor et qu’un contingent de matelots est intervenu pour tirer le cercueil à la place.

Le cortège se dirigera ensuite vers le Mall. En 1952, la RAF est clouée au sol par respect pour le roi George VI. En 2002, à 12h45, un bombardier Lancaster et deux Spitfire ont survolé le cortège pour son épouse et ont trempé leurs ailes. Les foules seront profondes pour la Reine. Elle aura droit à tout. De Hyde Park Corner, le corbillard parcourra 23 miles par la route jusqu’au château de Windsor, qui accueille les corps des souverains britanniques. La maison royale l’attendra, debout sur l’herbe. Puis les portes du cloître seront fermées et les caméras cesseront de diffuser. À l’intérieur de la chapelle, l’ascenseur menant au caveau royal descendra, et le roi Charles fera tomber une poignée de terre rouge d’un bol en argent.

Cet article a été modifié le 16 mars 2017 pour corriger quelques erreurs mineures, notamment le fait que trois des quatre derniers Premiers ministres de la Reine, et non les trois derniers, sont nés après son accession - Blair, Cameron et May ; que l'étoile d'Afrique sur le sceptre royal n'est pas le plus gros diamant du monde, mais le deuxième plus gros diamant taillé ; et que le mot "son's" manquait à l'origine dans la deuxième phrase de ce passage : "En 1910, les personnes en deuil d'Édouard VII étaient conduites par son fox-terrier, César. Le cercueil de son fils a été suivi jusqu'à la gare de Wolferton, à Sandringham, par Jock, un poney de chasse blanc."

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